par Sabine Herold et Hubert Armandon, le 22 août 2006
Cette tribune a été publiée par Le Figaro.
Si les libéraux souhaitent libérer le plus possible les individus et les entreprises, ils n'en sont pas moins attachés à ce pendant naturel et inextricable de la liberté qu'est la responsabilité. Serpent de mer de la vie politique au même titre que le service minimum ou le cumul des mandats, l'introduction dans notre droit d'un mécanisme de class action revient périodiquement sur la scène médiatique avant d'être enterré à grand renfort d'études confiées à diverses commissions. Les dernières annonces présidentielles ne devraient aboutir qu'à un oubli de plus. Pour permettre à chaque victime de voir vraiment réparer un préjudice subi, Alternative libérale choisit d'inscrire dans son programme politique l'introduction dans notre droit d'un mécanisme de class action.
La class action est une procédure judiciaire réunissant les deux éléments suivants : d'une part la possibilité d'agir devant les tribunaux pour le compte de victimes non encore identifiées au stade du procès, et d'autre part un résultat tendant à l'indemnisation des préjudices individuels subis par lesdites victimes. Ainsi, au terme d'un procès mené par un demandeur dont la représentativité est appréciée par le juge, la class action permet l'indemnisation de chacune des victimes correspondant aux caractéristiques déterminées par le jugement, à moins que celles-ci n'aient entre-temps fait le choix de s'exclure du bénéfice du jugement à venir pour se préserver la faculté d'agir par elles-mêmes.
Malgré plusieurs succédanées d'actions au caractère plus ou moins collectif, la France ne dispose pas aujourd'hui d'un tel mécanisme, ni dans son droit de la consommation (domaine sur lequel portait la promesse présidentielle, ni en aucun autre domaine. Il en résulte que pour tout type de dommage, le justiciable doit, quel que soit le type d'action entreprise, se signaler auprès du tribunal et entreprendre de lourdes démarches dont l'investissement en temps et en argent dépasse souvent, et de loin, la réparation à laquelle il a droit. Ces «petits préjudices», qui ne font donc en pratique l'objet d'aucune réclamation devant les tribunaux, n'en sont pourtant pas moins des injustices, et pour ceux qui échappent ainsi aux condamnations qu'ils méritent, autant de profits illicites parfois colossaux injustement conservés. Une telle situation ne peut qu'inviter les victimes au découragement et à la méfiance (avec les effets néfastes sur l'économie que l'on devine lorsqu'il s'agit de consommateurs), et les fautifs à persévérer dans leurs agissements illicites (au détriment, par exemple, de concurrents plus scrupuleux).
Aux États-Unis, où elles sont nées en 1923 et ont été reformées dans les années 1960, les class actions ont joué un rôle primordial dans la protection des plus faibles, qu'il s'agisse de faire respecter les libertés individuelles par les administrations, de faire sanctionner les discriminations commises par certains employeurs ou encore d'agir en indemnisation contre les pollueurs ou les fabricants de produits dangereux. Certes, ses détracteurs français allèguent que la class action est source de dérives indésirables chez nous : accaparement par les avocats d'un pourcentage substantiel des produits de ces actions, attribution par des jurys populaires d'indemnités disproportionnées par rapport au dommage réellement causé, ou encore le risque de chantage à l'encontre d'un défendeur acculé à la transiger au plus vite en raison d'une publicité néfaste menée dès les premiers stades de l'action. Mais ce serait oublier qu'il s'agit là de phénomènes propres au droit américain en général, dont les sources sont totalement indépendantes de la procédure elle-même.
Pour preuve, les autres pays ayant adopté les class actions (Canada, Brésil, Portugal...) ne sont pas confrontés à ces problèmes. En France non plus ils ne sont pas à craindre, puisque l'adoption d'un mécanisme de class action pourrait être réalisé en préservant ces garde-fous que sont l'encadrement de la rémunération des avocats, la stricte limitation des dommages-intérêts accordés au montant du préjudice causé et prouvé, ou le traitement de ces affaires complexes par des juridictions composées de magistrats professionnels. Quant à la publicité autour d'actions en justice, elle est aujourd'hui interdite et sanctionnée. Étant nécessaire toutefois pour permettre aux victimes concernées d'exercer leur droit d'exclusion ou de se signaler pour percevoir leur part d'indemnisation, on pourrait autoriser la publicité d'une class action en chargeant le juge d'en fixer au cas par cas les modalités, dans la mesure du nécessaire.
En outre, la class action permet aux citoyens d'agir eux-mêmes efficacement en défense de leurs intérêts légitimes. Elle diminue parallèlement la charge de l'État, trop souvent appelé, à tort, à régler par l'action pénale des litiges d'ordre strictement privé et pour lesquels la condamnation à une amende est bien moins productive que ne le serait l'indemnisation des victimes. C'est ce qu'illustre la condamnation récente pour entente illicite de trois opérateurs de téléphonie mobile, qui malgré l'amende infligée, n'indemnise en rien les millions de victimes. À défaut de la mise en place rapide d'un mécanisme de class action, ces dernières ne récupéreront pas les sommes qui leur ont été indûment facturées, et les pratiques condamnées demeureront profitables pour les entreprises en cause.
La justice pour tous, indispensable pour fonder une société de confiance, ne réside non pas dans l'inflation de normes appelées à rester lettre morte, mais dans l'application simple, et à moindre coût pour les victimes, de ce principe de bon sens qu'est la responsabilité des auteurs de comportements fautifs. L'instauration d'un mécanisme de class action va dans ce sens.
*Sabine Herold et Hubert Armandon sont respectivement porte-parole et responsable Programme (questions juridiques) d'Alternative libérale.
http://www.alternative-liberale.fr/articles/060822_sherold-harmandon_vite_des_class_actions.htm