Yves Leterme, leader des chrétiens démocrates flamands, n'est pas parvenu à mener à bien la mission que lui avait confiée, le 15 juillet, le roi Albert II. Le formateur du gouvernement fédéral a été relevé de ses fonctions jeudi 23 août.
Le chef de l'Etat a interrompu ses vacances pour rencontrer M. Leterme. Celui-ci lui a expliqué qu'il n'était pas parvenu à mettre d'accord les quatre partis, libéraux et chrétiens démocrates, flamands et francophones, qu'il espérait réunir dans une coalition dite l'Orange bleue.
"J'ai dû considérer qu'il est momentanément impossible d'établir un programme de gouvernement ambitieux pour lequel l'électeur a donné un signal clair le 10 juin dernier" , a expliqué Yves Leterme dans un communiqué.
Soixante-quatorze jours après des élections qui ont vu M. Leterme triompher en Flandre et cinq semaines après sa nomination, la Belgique n'entrevoit donc aucune solution à la profonde crise politique qu'elle traverse. Les négociations entre libéraux et chrétiens démocrates, que le formateur avait tenté de relancer après une première rupture, la semaine dernière, ont buté sur l'intransigeance des centristes francophones.
Jusqu'au bout, Joëlle Milquet, présidente de ces derniers, s'est opposée à la volonté des Flamands d'obtenir de nouveaux et importants transferts de compétences au profit de leur région.
Mme Milquet a refusé d'inscrire dans le programme d'un éventuel gouvernement des réformes nécessitant une majorité "spéciale" au Parlement, soit les deux tiers dans les deux assemblées et une majorité dans chaque groupe linguistique.
Les libéraux francophones du Mouvement réformateur étaient prêts, quant à eux, à discuter de certains points à condition qu'ils ne touchent pas - comme le réclament les partis flamands - à la fiscalité, l'impôt des sociétés ou la sécurité sociale.
Les négociateurs n'ont pas eu le temps d'aborder le sujet sans doute le plus périlleux, car le plus symbolique des tensions entre Belges : la scission de l'arrondissement politique et judiciaire, jusqu'ici bilingue, de Bruxelles-Hal-Vilvorde.
C'est désormais une crise exceptionnellement difficile et longue qui se profile, d'autant que le programme socio-économique d'un futur gouvernement n'a été que survolé jusqu'ici. Les partis flamands enragent, à l'image de Bart De Wever, leader du parti Nouvelle alliance flamande.
Allié aux chrétiens démocrates de M. Leterme au sein d'un cartel, il juge "insultante et arrogante" l'attitude des francophones qui, dit-il, s'opposent aux exigences "raisonnables" de sa région.
SCÉNARIO DU PIRE
De l'autre côté, les francophones sont plus divisés qu'avant l'ouverture des discussions et le PS, longtemps dominant, paraît d'autant moins désireux de se mêler aux discussions que les libéraux de Flandre et de Wallonie ont tout fait pour l'en écarter.
Confrontés à ce qu'un député francophone appelle "un champ de ruines", des responsables envisagent un scénario du pire. Peut-être pas une décision du Parlement régional flamand proclamant, comme le prône l'extrême droite du Vlaams Belang, la naissance d'une Flandre indépendante.
Mais, par exemple, une scission unilatérale de l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde décidée, à la majorité simple comme le prévoit la loi, par les partis flamands et qui signifierait les fin des droits (les "facilités") accordés aux 150 000 francophones de la périphérie flamande de la capitale.
Une crise de régime découlerait d'un telle initiative, qui s'apparenterait, selon le constitutionnaliste Marc Uyttendaele, à "un coup d'Etat".
Pour tenter d'éviter un tel scénario, le roi a immédiatement commencé un nouveau tour de négociations. Il devrait déboucher sur la nomination d'une personnalité chargée de réduire les tensions et d'ébaucher de nouvelles discussions entre les partis de l'hypothétique Orange bleue et, sans doute, d'autres formations.
Jean-Pierre Stroobants
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