Les députés ont franchi un pas, mercredi 12 septembre, dans la gestion de l'immigration : la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement autorisant le recours aux tests ADN lors de la délivrance des visas de plus de trois mois. "En cas de doute sérieux sur l'authenticité de l'acte d'état civil", les agents diplomatiques ou consulaires pourront "proposer" au demandeur d'un visa "d'exercer, à ses frais, la faculté de solliciter la comparaison de ses empreintes génétiques aux fins de vérification d'une filiation biologique déclarée". Si cet amendement était retenu, la pratique des tests ADN pourrait devenir massive : les procédures de regroupement familial impliquant des enfants concernent 23 000 demandes par an.
Au nom de l'éthique, les tests génétiques de filiation sont strictement encadrés par la loi : en vertu de l'article 16 du code civil, "l'étude génétique des caractéristiques d'une personne ne peut être entreprise qu'à des fins médicales ou de recherche scientifique". Les procédures de regroupement familial ne répondent pas à ces critères prévus par la loi "relative au respect du corps humain". L'auteur de l'amendement contesté, le député (UMP) du Vaucluse Thierry Mariani, a prévu que les nouvelles dispositions sur l'immigration interviendraient "par dérogation" à l'article 16 du code civil. Pour le député, ces tests "sûrs et rapides" permettront de répondre à la "fraude documentaire". Pour s'efforcer de démontrer l'importance de cette fraude, M. Mariani s'est appuyé sur un rapport du sénateur (UMP) de la Haute-Loire, Adrien Gouteyron.
Dans une étude rendue au mois de juin, le sénateur (UMP) Adrien Gouteyron avait mis en doute l'authenticité des actes officiels d'état civil fournis par les familles sollicitant des demandes de regroupement familial. Selon M. Gouteyron, "dans certains pays, comme le Sénégal, la Côte d'Ivoire, les deux Congo, le Togo, Madagascar ou les Comores, de 30 % à 80 % des actes d'états civils sont frauduleux".
Lors des débats en commission, cet amendement au projet de loi sur l'immigration introduisant des tests ADN pour authentifier les filiations a été combattu jusque dans les rangs de la majorité. "En matière de filiation, rien ne repose, en droit français, sur la biologie, souligne le député (UMP) du Morbihan, François Goulard. On peut très bien reconnaître un enfant sans en être le père biologique. L'imposer à un étranger, parce que l'on met en doute son état civil, c'est contestable et déplacé." Les députés socialistes ont eux aussi contesté la légitimité de cette mesure. "Qui, dans les pays d'origine, va mettre en place ces tests, quels laboratoires ?, s'alarme Serge Blisko. Comment être sûrs que l'on ne se retrouvera pas avec des tests bidons ? Et que va-t-il se passer pour les enfants adoptés, voire illégitimes mais non révélés ?"
Cet amendement pose en effet beaucoup de questions. En Europe, comme dans tous les pays du monde, les filiations juridiques ne correspondent pas toujours aux filiations biologiques : depuis une vingtaine d'années, les avancées de la génétique ont permis de démontrer que les enfants illégitimes sont beaucoup plus nombreux que l'on ne l'imaginait. Selon la revue scientifique The Lancet, au moins 2,7 % des déclarations de naissance seraient "fausses" au sens où elles ne correspondent pas aux parents biologiques. Les chercheurs qui étudient la transmission des maladies génétiques sur plusieurs générations disent écarter 5 % voire 10 % de leurs échantillons en raison des discordances de filiation.
Ces incertitudes sur les filiations sont si fortes qu'en France, la pratique ouverte des tests ADN est formellement interdite : le recours aux empreintes génétiques ne peut être ordonné que par un magistrat, dans le cadre d'une procédure touchant aux liens de filiation. En cas d'infraction, la loi bioéthique de 2004 prévoit une peine d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende. Les Français qui souhaitent vérifier leur paternité sont donc obligés de s'adresser clandestinement, via Internet, à des laboratoires étrangers situés dans des pays où la loi est plus clémente, comme la Suisse, la Belgique ou l'Espagne.
Si les procédures de visa comprennent des tests génétiques, certains pays du Sud auront probablement du mal à assurer la disponibilité des tests. La plupart des laboratoires sont situés en Europe, aux Etats-Unis et au Canada et ils imposent des conditions de prélèvement complexes : les fragments corporels - cheveux, frottis buccaux - doivent être prélevés avec du matériel stérile avant d'être envoyés par La Poste. Les tarifs de ces laboratoires sont en outre très élevés : actuellement, ce type d'analyse coûte de 200 à 600 euros.
Dans son amendement, le député Thierry Mariani a pris garde de ne pas faire du test ADN une obligation : les autorités consulaires ou diplomatiques pourront simplement le proposer aux candidats. Mais les demandes de regroupement familial sont déjà si difficiles que les associations craignent qu'un refus de prélèvement entraîne un rejet de la demande. "On aperçoit clairement les risques de dérives, explique la juriste Danièle Lochak, ancienne présidente du Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI). Il est évident que le demandeur qui le refusera aura toutes les chances de se voir refuser son visa. Et demain, des voix s'élèveront pour imposer ces tests aux étrangers qui se disent parents d'enfants français."
Le monde
Anne Chemin et Laetitia Van Eeckhout